C’est à Braine-l’Alleud, plus précisément à Ophain, que se trouve Notre Village.
Niché au coeur d’un quartier résidentiel aux allures tout à fait ordinaires, le site accueille 240 adultes en situation de handicap mental. Chaque jour, pas moins de 25 ateliers sont organisés, allant de la poterie à la sérigraphie. Une chose est sûre : tout le monde peut y trouver son bonheur.
Le service d’accueil met un point d’honneur à ce que tout un chacun, quelles que soient ses capacités, trouve sa place en contribuant activement à la vie de la communauté.
En passant en voiture, on ne soupçonnerait jamais l’effervescence qui anime le village. Il faut s’y promener à pied pour saisir l’atmosphère unique qui y règne. Ici, tout le monde se connaît et se salue. Sur mon chemin, je croise certains visages intrigués et plusieurs personnes m’interrogent “tu es qui, toi ?”. En quelques minutes, j’ai pû faire connaissance avec quelques-uns d’entre eux.
Il est 9 heures, et tandis que dans d’autres ateliers, les participants ne sont pas encore tous arrivés, un groupe s’est déjà mis au travail. Noelle, éducatrice spécialisée, a pris connaissance de la liste des commandes du jour. “Les amis, aujourd’hui, on doit faire 31 pains blancs, 20 grands pains gris et 4 petits pains gris!”, annonce-t-elle. Désormais tous vétû d’un tablier, la petite équipe commence par la préparation du pain blanc. Enfin, pour l’instant, il n’y a que Noelle et Reda, le benjamin du groupe, qui travaillent réellement. Dans l’atelier, pas de musique. L’ambiance est plutôt calme, les participants ne sont pas encore tous complètement réveillés.
Reda s’attelle à mesurer la farine à l’aide d’une ancienne balance. Pour ce faire, Noelle place sur un des plateaux le poids exact correspondant à la quantité de farine nécessaire. Reda ajoute alors progressivement la farine jusqu’à ce que l’aiguille de la balance indique un parfait équilibre entre les deux plateaux. Ainsi, les personnes qui ne savent pas compter sont également en capacité d’effectuer cette tâche. Parallèlement, l’éducatrice s’occupe de peser la levure. Après avoir ajouté ces deux ingrédients dans le pétrin, Reda se charge du dernier élément, l’eau. Noelle lui indique le niveau jusqu’où il doit remplir le seau gradué. Ensuite, il verse l’eau dans le pétrin. Pendant que la pâte est pétrie dans la machine, Florence huile les moules à pain avec un pinceau. Tandis que Véronique attend patiemment son tour appuyée sur le four, sa place de prédilection.
Depuis mon arrivée, Séverine me fait un grand sourire à chaque fois que nos regards se croisent. C’est une jeune femme qui se soucie des autres, elle demande régulièrement à ses camarades mais aussi à moi, si tout va bien. Elle me raconte, avec des étoiles dans les yeux, qu’un jour, la radio est venue dans le village et qu’on l’a interviewée. Ils ne sont pas tous aussi bavards, certains sont plus tranquilles. C’est le cas de Gabriella et de Véronique, contrairement aux autres la présence d’une personne inhabituelle n’a pas l’air de spécialement les interpeller. Elles exécutent leurs tâches comme d’habitude dans une sérénité remarquable.
Maintenant que la pâte est prête et étalée sur le plan de travail, le véritable travail d’équipe peut commencer. Noelle confie : “Je n’ai pas l’habitude de ce groupe, je ne sais pas vraiment comment ils s’organisent”. Bien qu’elle anime cet atelier depuis trois ans de manière ponctuelle, c’est la première fois qu’elle dirige l’équipe du mercredi. Ici, les habitudes ne sont pas prises à la légère, car le moindre changement peut être très difficile à vivre pour certaines personnes en situation de handicap. L’éducatrice laisse donc les participants se positionner eux-mêmes autour de la table. Un seul reste assis, c’est Francis. “Avant, il travaillait constamment à la boulangerie, mais aujourd’hui, son âge l’empêche de nous aider”, explique Noelle. Francis continue de fréquenter l’atelier car il s’y sent chez lui, même s’il se contente désormais d’observer les autres. Par moments, il se sent tellement bien qu’il s’assoupit.
Noelle disperse la farine sur le plan de travail, comme pour annoncer le début des festivités. Florence se trouve au début de la chaîne de production. Elle découpe un morceau de pâte et le place sur une balance programmée, qui émet un signal lorsque le poids souhaité est atteint. Ensuite, Reda et Jean-Pierre prennent le relais pour faire la boulé, c’est-à-dire qu’ils façonnent la pâte en boule lisse. Après quoi, Véronique et Séverine s’occupent de l’allonger pour lui donner sa forme ovale caractéristique. Enfin, c’est au tour de Gabriella de récupérer les pains formés, elle les dépose dans les moules et les signe d’un coup de lame. Dans ce cas, le pain blanc est marqué par trois entailles.
Cependant, nous ne sommes pas dans une boulangerie comme les autres. Il n’est pas rare que les participants se déconcentrent, se dispersent et changent de rôle. C’est le cas de Florence qui, aujourd’hui, a envie de tout faire. Rapidement, elle démissionne de son poste et se retrouve parmi ceux qui allongent la pâte. Véronique accepte de prendre la place devant la balance désormais vacante. Quelques minutes plus tard, la machine Florence ne s’arrête plus. Séverine a du mal à mettre la main à la pâte, car c’est Florence qui s’occupe d’allonger tous les pains. Noelle s’exclame “ Florence, faut laisser un peu de travail pour les autres aussi !”.
Ce n’est pas la seule à être particulièrement motivée ce matin ; Reda affiche également un bel enthousiasme. Perfectionniste, il tient à ce que chaque tâche soit bien réalisée. Pendant la boulée, il n’hésite pas à expliquer clairement son geste pour donner l’exemple. Parfois un peu autoritaire, il lance quelques ordres à ses camarades. Bien que patient, Jean-Pierre commence à être irrité par les remarques de Reda. “ça arrive qu’il y ait des petites tensions entre des personnes qui n’ont pas le même fonctionnement.” murmure Noelle. Avec quelques mots, l’éducatrice arrive à calmer pendant un temps l’énergie débordante de Reda. Bientôt, la pâte s’amenuise et tous les pains blancs sont désormais façonnés. Il est temps de se concentrer sur les pains gris, pour lesquels les gestes restent les mêmes. Toutefois, la dernière étape varie : plutôt que de faire des entailles, Gabriella fait des trous dans la pâte avec un bâton.
Une fois que toutes les variétés de pains ont été réalisées, Reda et Noelle glissent les étagères chargées de leurs créations dans la chambre de pousse. L’horloge sonne alors 10h45, marquant le moment tant attendu de la pause. Tous les participants s’installent autour de la table, prêts à savourer un instant de convivialité bien mérité après cette matinée productive.
– Ambre Castreuil, étudiante en journalisme en immersion au SAJA
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